En plus de modifier durablement le travail des acteurs du marché et des investisseurs, les outils comme ChatGPT comportent de nouveaux risques pour les investisseurs, selon Christian Schmitt, Senior Portfolio Manager chez Ethenea.
L’intelligence artificielle prend de plus en plus de place dans notre quotidien. Ses applications sont devenues plus larges. Qui, aujourd’hui, n’a pas posé une question à ChatGPT, ne serait-ce que par curiosité ? Les investisseurs ne dérogent pas à la règle. La recherche inlassable de surperformances alpha (des performances qui dépassent les performances correspondant au risque de marché -bêta) est un thème récurrent qui agite presque tous les acteurs des marchés financiers depuis des décennies. « Il n’est donc pas surprenant que ChatGPT et d’autres logiciels comparables soient désormais utilisés à ces fins », commente Christian Schmitt, Senior Portfolio Manager chez Ethenea.
L’une des premières études scientifiques sur le sujet pose dans son titre la question suivante ? « Can ChatGPT Forecast Stock Price Movements? » (ChatGPT peut-il prédire les mouvements du cours des actions ?). La réponse est clair : oui. Seulement à l’horizon d’un jour.
Sur le marché des capitaux, l’alpha a toujours été « une fleur très fragile » et « très éphémère ». Elle risque bien de le rester, affirme le gestionnaire de portefeuille. Les nouvelles découverte de « prétendues » sources d’alpha, qui se sont multipliées grâce à l’amélioration des possibilités techniques, n’y changeront rien. « La recherche de nouvelles sources alpha alimente une course qui ne peut guère être gagnée avec ces mêmes moyens », ajoute-t-il.
Afin d’illustrer son propos, il utilise un exemple rencontré lors de ses premières années de carrière : le Quant Crash 2007. Il raconte que l’approche d’investissement utilisée et la technique sous-jacente étaient très modernes il y a moins de 20 ans et, avec un volume qui a atteint près de 10 milliards d’euros, il ne s’agissait pas non plus d’un produit de niche. La stratégie d’investissement pouvait être résumée de manière très simplifiée comme suit : « acheter de manière largement diversifiée les actions qui semblent les plus attractives du marché et vendre au contraire les actions qui semblent les moins attractives du marché ». Le risque de marché (bêta) était donc de facto nul, on pouvait se concentrer entièrement sur la génération continue d’alpha. Le démarrage de la stratégie a été phénoménal, avec une performance positive constante sans grandes fluctuations de prix.
Alors que le marché était relativement calme, le fonds a soudainement perdu de la valeur jour après jour, dans des proportions équivalentes à la performance agrégée de plusieurs mois. Que s’était-il passé ? « Avec les nouveaux moyens techniques et les nouvelles données, de nombreux acteurs du marché avaient analysé les marchés pour savoir quelles actions permettraient d’obtenir des surperformances aussi facilement et rigoureusement, en regardant le passé ». Comme les mêmes données ont été observées à travers les mêmes outils, les conclusions ont été les mêmes. Par conséquent : de nombreux investisseurs avaient donc tout simplement les mêmes titres dans leur portefeuille. Dès que certains ont dû en vendre un volume important, les actions ont été mises sous pression, déclenchant une réaction en chaîne. Une partie des pertes a pu être compensée très rapidement lors d’un premier rebond. Sur la base des enseignements tirés, la stratégie a encore été affinée et a très bien traversé l’année de crise 2008.

à ne pas sous-estimer, selon Christian Schmitt d’Ethenea.
(Photo : ethenea)
Des sources qui se tarissent rapidement
Mais la suite a été une dégringolade constante, sans jamais pouvoir renouer avec les succès du backtesting ou des premiers mois, ni même être à la hauteur des ambitions annoncées. Après environ huit ans et demi, ce produit qui détenait un milliard d’en-cours a été retiré du marché en 2015.
Selon Christian Schmitt, cet exemple montre très clairement que « le comportement grégaire des investisseurs constitue un risque à ne pas sous-estimer, non seulement au niveau du marché dans son ensemble, mais aussi au niveau des titres individuels ». Il est intéressant de noter que ce risque n’est pas corrélé aux facteurs de risque classiques tels que l’endettement, la valorisation, la cyclicité, le bêta et autres. Pour lui, « il est donc incomparablement plus difficile de se protéger contre ces positions appelées « crowded trades » (Positions à la mode) ». Si la diversification du portefeuille est en principe une protection, le danger potentiel réside ici plutôt dans la stratégie d’investissement elle-même. Une prudence accrue est donc de mise pour les stratégies d’investissement particulièrement populaires ainsi que pour les nouvelles approches innovantes qui, en raison de backtestings récents, de facteurs alpha nouvellement découverts ou de nouvelles possibilités techniques, promettent un rendement supérieur à la moyenne et attirent en conséquence de nombreux investisseurs.
Outre ces risques à très court terme et immédiats, l’exemple montre, dans une perspective à moyen et long terme, à quel point les sources d’alpha intéressantes se tarissent rapidement. La pratique et la théorie montrent qu’il s’agit moins de l’exception que de la règle.
Si ChatGPT peut prédire à court terme les mouvements du cours des actions, il changera durablement le travail de tous les acteurs du marché et des investisseurs. Comme ce fût le cas auparavant avec les calculatrices, les ordinateurs et Internet. Il est donc essentiel de comprendre comment cela fonctionne et quelles sont les implications potentielles de cette évolution pour évaluer en permanence les opportunités et les risques. Le focus sur des intervalles de trading de plus en plus courts, où les investissements au jour le jour, basés sur les gros titres, ne suscitent plus d’inquiétudes particulières. Reste à savoir quand ce chatbot deviendra une source officielle d’alpha.