Invité mercredi soir par la Chambre des salariés (CSL) à s’exprimer sur la politique de la Banque centrale européenne (BCE), l’économiste et professeur d’économie politique à l’Université de Würzbourg, Peter Bofinger a pris la défense de cette dernière en affirmant qu’elle avait fait un bon travail, même si elle a mis du temps à se réveiller.

« La politique de la Banque centrale européenne est un sujet compliqué en début de soirée », a affirmé le professeur docteur Peter Bofinger. Ce dernier donnait une conférence mercredi soir dans les locaux de la Chambre des salariés sur le thème : « la Banque centrale européenne tiraillée entre la stabilité des prix et la croissance économique ». Un sujet on ne peut plus d’actualité vu le contexte épineux dans lequel les économies européennes et mondiales se trouvent. Avec un taux d’inflation à 10,7 % en octobre, la BCE est confrontée à son plus grand défi depuis la création de la monnaie unique en 1999. Elle doit se défendre contre l’accusation selon laquelle elle serait responsable de l’inflation du fait de sa politique de taux zéro. Il est vrai qu’avant la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, les taux d’intérêt étaient à 2 %. Un peu trop bas au goût de certains.

S’appuyant sur des graphiques, le professeur d’économie a questionné le lien entre la masse monétaire, la croissance et l’inflation. « Nous avons eu une masse monétaire en augmentation entre 2007 et 2008 (ndlr : pendant la crise financière), il n’y a pas eu d’inflation », a-t-il dit. Il a soutenu qu’il n’y avait pas de lien entre l’abondance d’argent et l’inflation. Il cite l’exemple des Etats-Unis où s’est produite une « compulsion fiscale ». Des chèques ont été donnés à la population. Par conséquent, les dépenses ont augmenté et l’inflation aussi. Cela n’a pas été le cas dans la zone euro. A l’automne 2021, personne ne s’attendait à un taux d’inflation aussi élevé. On tablait sur 2,1 %. « On ne peut pas affirmer que la Banque centrale européenne serait responsable de ce qui se passe actuellement », a assuré Peter Bofinger. Le vrai coupable : c’est le conflit en Ukraine.

« La voie de la détermination »

L’économiste est catégorique : « les guerres s’accompagnent souvent de l’inflation ». C’était le cas lors de la Première guerre mondiale et de celle en Corée par exemple. Dans le cas de la guerre en Ukraine qui a commencé il y a 9 mois, « il n’est pas seulement question de pétrole, il y a aussi le gaz » et l’huile végétale « car on la reçoit à 90 % » de là-bas, a-t-il rappelé. Citant la crise du pétrole des années 80, le professeur d’économie politique soutient que la banque fédérale, à cette époque, n’a pas « réussi à contrôler le taux d’inflation ». Pour lui, c’est certain : « tout ce que nous vivons n’a rien d’exceptionnel ». Ce qu’il y a aujourd’hui, « c’est un choc de l’offre car la croissance va vers le bas et les prix montent », ajoute-t-il. En maintenant des taux d’intérêt constants, la BCE risque de perdre le contrôle de l’inflation. Les anticipations inflationnistes croissantes qui se traduisent par des hausses de salaires montrent que l’inflation provoquée par la crise de l’énergie est devenue systémique. « La Banque centrale européenne a mis du temps à se réveiller » et a opté pour « la voie de la détermination » comme l’a affirmé Isabel Schnabel dans son discours à Jackson Hole. Ce qui a conduit par conséquent à une très forte hausse des taux directeurs.

Plus tard dans son exposé, Peter Bofinger a pris la défense de la BCE en certifiant que si elle n’avait rien fait en tant compte du principe de Taylor (il faudrait que le taux d’intérêt aille plus vite que l’inflation), « les prix auraient progressé davantage ». Les hausses des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne observées ces derniers temps n’équivalent pas à une politique restrictive. L’inflation de la zone euro se stabilisera lorsque les prix de l’énergie n’augmenteront plus, voire diminueront. Cela ne devrait pas être le cas avant 2024, au moins. Malgré les faits, l’économiste pense que la BCE «  a fait un bon travail » mais qu’elle a réagit trop tardivement. On verra si l’avenir lui donnera raison.