Entre les plans sociaux, la plainte à l’OIT concernant la représentativité sectorielle et les différentes manifestations, 2022 a été riche pour l’ALEBA, le premier syndicat de la place financière. Ecorama Luxembourg en a dressé le bilan avec Delphine Nicolay la secrétaire générale qui s’attend à une année 2023 mouvementée.
Ecorama Luxembourg : L’année 2022 touche à sa fin. Si vous deviez la résumer en un mot pour l’ALEBA, lequel serait-il?
Delphine Nicolay : Si je devais résumer en un seule mot l’année pour l’ALEBA, ce serait « engagée ».
Ecorama : Pourquoi ?
D.N : C’est parce que nous avons été engagés auprès des membres à chaque instant. Cet engagement a été traduit par des plans sociaux qui ont été signés cette année pour des raisons diverses. Nous nous sommes engagés en participant à différentes manifestations. Nous essayons de soutenir les causes qui nous semblent justes. D’ailleurs le président avait rejoint la manifestation sur l’index. En fait, nous sommes très engagés aussi car nous répondons présent quand on fait appel à nous, quand nous en avons les convictions et les capacités de le faire,plus encore maintenant que nous avons renforcé nos équipes.
Ecorama : L’ALEBA est allée au tribunal pour retrouver sa représentativité sectorielle. Un courrier avait été envoyé à l’OIT, ce dernier considère que le Luxembourg a violé les principes de liberté syndicale. Etes-vous satisfaite de ce jugement?
D.N : Je le suis et nous le sommes tous. Bien sûr, nous sommes satisfaits de savoir qu’il est reconnu par l’OIT qu’il y a des articles de lois qui entravent les libertés syndicales au Grand-Duché de Luxembourg et que par conséquent, les lois luxembourgeoises devront être revues en ce qui concerne la Représentativité dans son ensemble. C’est grâce à Roberto Mendolia le président de l’ALEBA qui a mis un point d’orgue pour que tous ces articles de loi ce que nous considérons comme discriminatoires en termes de Représentativité, soient reconnus comme tels. Il a été au bout de ses idées et a reçu gain de cause. Nous sommes vraiment ravis et fiers de sa pugnacité par rapport à cette situation qui ne peut plus durer. Cette reconnaissance ne servira pas qu’à l’ALEBA d’ailleurs : tous les autres syndicats de la Place qui ne sont pas reconnus en tant que « nationaux » devraient à terme pouvoir en tirer parti.
Ecorama : La Place financière a connu quatre plan sociaux cette année pour des motifs différents à chaque fois. Est-ce que vous en attendiez autant?
D.N : Nous nous y attendions malheureusement car la période Covid ne présageait rien de bon, même si les chiffres des banques n’avaient pas à rougir de ces deux années de pandémie, tous ls métiers ne peuvent en dire autant. Par ailleurs l’un des quatre plans sociaux dont vous parlez, est clairement imputé aux problèmes géopolitiques dûs à la guerre en Ukraine. Cette banque russe (NDLR : EWUB) n’avait pas d’autre choix que de se séparer de ces de ses employés puisque la majeure partie de ses clients étaient russes et vu l’embargo sur la Russie, c’était inéluctable. Nous avons été là pour les aider, les épauler à signer ce plan social (NDLR : qui concerne entre 32 et 44 personnes sur 80 que compte la banque).
Ecorama : On a beaucoup parlé des salariés de Fortuna Bank touchés par un plan social au mois d’août. Où en est ce dossier?
D.N : Ici par contre nous aurions justement voulu un plan social. Á l’ALEBA, nous avons dénoncé la facilité avec laquelle les entreprises du Grand-Duché peuvent contourner les plans sociaux, ainsi que l’indifférence de la BCEE pour les employés de Fortuna laissés sur le carreau. La délégation du personnel a fait appel à nous pour les aider au mieux dans la négociation d’avantages extra-légaux pour les employés dans un contexte de refus par l’employeur de négocier un plan social. La Délégation du personnel a toutefois réussi à obtenir un accompagnement social plus avantageux que la loi pour tous les employé de La Fortuna Bank.
Ecorama : En avril, l’ABBL disait qu’une banque sur cinq n’était pas rentable au Luxembourg…
D.N : Et pourtant les chiffres des banques sont plutôt bons.
Ecorama : une banque sur cinq, c’est énorme. Comment interprétez-vous ces chiffres en tant que syndicaliste ? Est-ce exagéré ?
D.N : D’après moi, c’est exagéré parce que les banques au Luxembourg font partie d’un marché qui est très porteur. Si l ‘ABBL dit ça, elle peut aussi amalgamer les branches étrangères dans ces chiffres. Sachant maintenant que les banques sont des branches de Paris, de Londres, de Bruxelles, de New York. Peut-être d’un point de vue global, ça peut être le cas mais au Luxembourg, il faudrait montrer ces chiffres pour qu’on s’en rende compte et que ce sont bien les banques implantées au Grand-Duché qui ne soient pas rentables.
Ecorama : Au mois de septembre, l’ALEBA s’est positionnée sur une réforme de l’indexation des salaires. Vous dites que l’index devrait être échelonné « plutôt que gelé ou retardé ». Est-ce vraiment la bonne solution?
D.N : Disons tout d’abord que nous nous réjouissons bien sûr que notre système d’index a pu être préservé tel qu’il est. Par contre quand on nous parle de geler ou de postposer un index, nous pensons effectivement que maintenir le pouvoir d’achat des employés devrait peser en priorité dans cette décision, et donc échelonner les pourcentages en fonction des tranches de salaires, afin de donner plus à ceux qui ont moins, serait une alternative acceptable, même temporaire, au gel pur et dur de l’index. Le but est d’aider les ménages à faibles revenus à toujours être capable d’acheter au moins les denrées nécessaires, permettre ainsi à l’économie de toujours tourner afin d’éviter ou de retarder une éventuelle récessions, ainsi donc aussi pour une plus grande équité sociale dans les périodes actuelles inflationnistes.
Ecorama : Le 25 novembre, le syndicat a participé à l’Amazon Pay Day. En quoi est-il concerné puisqu’il défend principalement les intérêts des salariés des banques et des assurances?
DN : Nous essayons de participer aux choses qui nous tiennent à coeur. Ici, la justice sociale et la justice environnementale vont de pair, notre présence faisait sens. Nous devrions tous être concernés par le dérèglement climatique que l’on ne peut ignorer surtout quand elle implique l’exploitation humaine et l’ALEBA est ravie de prêter main forte à tout autre acteur qui souhaite agir pour une justice sociale et environnementale. Aussi, nous avons voulu témoigner notre solidarité aux employés d’Amazon et appeler le gouvernement luxembourgeois à faire appliquer la loi à l’encontre du géant d’internet. L’ALEBA est certes un syndicat majoritairement représenté dans le secteur financier. Cependant, la loi du travail est la même pour tous. Ce sont uniquement les conventions collectives qui varient : nous nous occupons de tous les employés, sans aucune différence, et de plus en plus de salariés d’autres secteurs nous font confiance et nous rejoignent. Nous avons par exemple signé la convention collective de Post Telecom, nous sommes présents dans des chaines de magasins au Luxembourg. Nous nous vouons au développement de tous les secteurs.
Ecorama : Venons-en au dossier des conventions collectives. Les deux CCT – Banques et Assurances arriveront à échéance fin 2023. Allez-vous cette fois-ci jouer la carte de l’unité avec l’OGBL et le LCGB?
D.N : L’ALEBA a toujours à souhait et à cœur de défendre avant tout les intérêts des employés, notre ambition est de le faire en collaboration avec les autres syndicats. On m’a dit dernièrement un adage qui a raisonné en moi : « Seul nous allons plus vite, ensemble nous allons plus loin », c’est quelque chose qui devrait être pris en compte par tous : Nous devons nous mettre ensemble pour aller plus loin dans ces futures conventions. Je suis sûre que nous travaillerons main dans la main sur des notes très positives avec nos confrères syndicaux, si ces derniers ne jouent pas encore la carte politique. L’affaire de Représentativité ayant pris une nouvelle tournure depuis la décision de l’OIT, l’objectif commun qui est de préserver les intérêts des salariés, en l’occurrence lors des prochaines négociations des CCT banques et assurances, doit redevenir aussi leur seul intérêt. L’ALEBA en tout cas ne leur a jamais fermé la porte, même au faîte de la crise intersyndicale de 2021.
Ecorama : Dans le programme électoral de 2019, il était question des faux-cadres. Y-a-t-il encore des avancées à produire sur le sujet ?
Il y a toujours une prise de conscience à avoir par rapport aux faux-cadres. Ce sont des employés dont le statut existe toujours, malheureusement. Il faut parfois du temps à l’employé lui-même pour s’en rendre compte, et il lui faudra aussi du courage pour affronter son employeur. L’ALEBA est aussi aux cotés des managers (qui sont des faux-cadres) par le biais des délégations du personnel qui les représentent ou simplement en tant que membre souhaitant faire vérifier son statut. J’ai pour exemple une Banque américaine de la place, qui a décidé de couper certains avantages en nature donnés aux cadres de l’entreprise, sans préavis. C’était une décision « world wide » qui a pour conséquence une très grande frustration auprès de ses employés à Luxembourg et en Belgique. Pour certains même le constat amer que finalement les conditions pour être cadre ne sont plus réunies. Ce sera un dossier à suivre dans cette banque spécifique car le pouvoir d’achat des employés sera considérablement diminué.
Ecorama : Un groupe de délégués des banques asiatiques vient d’être créé, pour quelles raisons n’a-t-il pas été mis en place plus tôt?
D.N : L’ALEBA a toujours voulu mettre en place des rencontres entre délégations du même profil, cela avait été mis en place depuis un moment avec les groupes Allemands, ou les assurances. Les délégations de banques asiatiques ont répondu présents pour partager leurs expériences suite à la pandémie, c’est l’une de nos collaboratrices Sandra Carvalho qui les a contactés afin de développer un groupe au niveau des banques asiatiques. Aussi, nous avions des délégués qui nous ont donné l’envie de le développer. Il arrive parfois que ces banques ne respectent pas forcément les conventions collectives en place. C’est un travail de longue haleine avec les employeurs de ces établissements financiers. Le fait de pouvoir échanger donne du courage aux délégations de voir ce qui se fait ailleurs. Elles se sentent soutenues. Je me dis que nous devrions faire la même chose pour les banques américaines.
Ecorama : Enfin, selon vous, faut-il s’attendre à une année 2023 difficile sur la place financière?
D.N : Sur la Place elle-même, c’est un peu difficile à dire. Pour l’ALEBA, c’est une année de pré-élections sociales, de négociation des conventions collectives Banque et assurance : je pense que nous avons les ingrédients pour une année mouvementée de notre côté. Nous ne sommes jamais à l’abri de nouveaux plans sociaux dont nous entendons parfois quelques échos inquiets. Nous sommes prêts à tout affronter dans n’importe quel cas de figure.