S’il existe d’excellents programmes publiques comme le « Fit4Start » pour aider les jeunes pousses à grandir, une autre source de financement est envisageable comme le tax shelter. Déjà présent dans les pays de la Grande-Région, cet incitatif fiscal se fait encore attendre au Grand-Duché.

Dans son accord de coalition de 2018, le gouvernement Bettel promettait la chose suivante : « afin de stimuler l’esprit d’entreprise et la création de start-ups, le Gouvernement analysera l’introduction de mesures fiscales pour favoriser les investissements des personnes physiques dans les entreprises innovantes ». Seulement voilà, quatre ans plus tard, la réforme fiscale prévue en 2018 n’a pas été mise en place. Elle a été repoussée à 2023, année du prochain scrutin législatif. Ce sera au successeur de l’actuelle ministre des Finances Yuriko Backes de mettre en place un mécanisme permettant aux investisseurs privés de placer leur argent dans une jeune pousse innovante.

Si elles veulent continuer à grandir, les start-ups ont besoin d’argent. Dans la phase de démarrage, elles ont parfois du mal à trouver des sources de financement. Le « Love Money », c’est-à-dire, les fonds apportés par les parents, les amis et les connaissances peuvent être vite épuisés. De ce fait, il est nécessaire de trouver une alternative.

Et elle existe. Il s’agit du tax shelter. Claire Munck, CEO de BeAngels, le réseau des Business Angels en Belgique, présent au Grand-Duché depuis peu, le définit comme « un incitant fiscal qui permet de réduire le risque d’investissement dans des start-ups ». Ce dispositif existe chez nos voisins depuis 2015. « En tant qu’investisseur, on peut déduire 45 % de ce que l’on investit dans les jeunes pousses, dans la limite de 100.000 euros investis par an ». On peut mettre plus d’argent dans le projet « mais on ne peut pas déduire plus », prévient-elle. Il s’adresse « aux investisseurs privés en général dont les Business Angels » qui en font partie. En décembre 2021, il a été doublé, passant de 250.000 à 500.000 euros.

Un trop plein d’épargne pour les entreprises ?

Dans un texte publié à la mi-décembre 2021, l’économiste de la Fondation Idea, Michel-Edouard Ruben, plaide en faveur d’une redirection de l’épargne excédentaire de 4 millards d’euros pour les années 2020 et 2021. Il écrit que dans l’écosystème de la « start-up nation » (NDLR qui compte entre 500 et 600 jeunes entreprises), il manquait « une mesure fiscale incitative pour les apporteurs de fonds propres (Business Angels, venture capital, corporate venture capital) qui est pourtant un élément commun aux pays les plus dynamiques et performants en terme d’entrepreneuriat ». « La préférence luxembourgeoise va traditionnellement aux investisseurs dans l’immobilier qui bénéficie d’une très longue – et coûteuse pour les finances publiques – liste de frais d’obtention déductibles (emprunt non plafonnés, l’amortissement pour usure, les impôts fonciers, les frais de gérance etc) », dit-il.

Pour lui, c’est clair : « décider d’une fiscalité favorable à ceux qui investissent dans des entreprises est une voie à emprunter, d’autant plus que cela viendrait, en plus de renforcer le bilan des entreprises et d’accompagner le nécessaire rebond de l’investissement des sociétés non-financières, utilement concurrencer la boulimie de la pierre ». Cette mesure pourrait s’inspirer « du tax shelter scale-up belge, de l’IR PME français (loi Madelin) ou du dispositif « Invest » allemand et consister en un abattement d’impôt sur le revenu fixé entre 25 et 30 % du montant investi dans une entreprise éligible sans que l’abattement en question ne puisse dépassé un certain seul (par exemple 20 % du revenu imposable ». A noter que le tax shelter existe au Royame-Uni depuis la fin des années 90. Il est connu sous le nom de « Seed enterprise investment scheme » (SEIS).

Interrogé par le Wort en mars 2019, feu Jérôme Grandidier alors président de la Fédération luxembourgeoise des start-ups (FLSU) disait déjà que le financement des jeunes entreprises était « un problème majeur » au Luxembourg. « Il est impératif de créer un système de financement qui couvre toutes les phases de développement avec, justement, un tax shelter qui finance l’early stage. Elodie Trojanowski, co-fondatrice de la FLSU, confirme de son côté que les start-ups « en parlent tout le temps ».

Pas d’urgence à avoir un tax shelter européen

D’après Philippe Linster, CEO de la House of Startups (HOST) de la Chambre de Commerce le Luxembourg peut s’inspirer des lois existantes dans les autres pays européens. Soulignant la bonne collaboration entre les secteurs publics et privés, il affirme qu’il n’est pas aisé de mettre en place une telle norme législative. Car au niveau légal, définir une start-up est un défi, tout comme l’innovation et cela de manière objective.

Pour poser un cadre, « il faut des critères objectifs clairs et éviter les abus ». Il cite la loi du 17 mai 2017 ayant pour objet le renouvellement des régimes d’aides à la recherche, au développement et à l’innovation qui pourrait être reprise. Toutefois, ses conditions d’application sont relativement strictes et pourraient limiter de manière trop importante le champ d’application des mesures fiscales envisagées. S’inspirer d’une définition existante dans d’autres pays présenterait pour avantage de s’assurer de la compétitivité fiscale du régime fiscal luxembourgeois face à ses principaux concurrents et nous semble donc préférable à la première alternative.

Assurant que «le gouvernement est très ouvert sur une loi «’tax shelter’ », le CEO de la HOST, qui a vu le nombre de jeunes pousses s’installer dans les locaux de cette dernière augmenter considérablement (de 100 en 2020 à plus de 170 aujourd’hui), se dit confiant sur le fait « qu’on peut avoir une mesure de type ‘tax shelter’ » au Grand-Duché.

La mise en place d’un incitant fiscal au niveau européen pourrait régler le problème. Sauf qu’il est impossible d’empêcher les actifs de circuler librement. L’absence d’un marché unique est clairement un obstacle. Philippe Linster voit que, souvent, les intérêts nationaux passent avant les intérêts européens. « On ne peut pas réfléchir à un tax shelter européen tant qu’il n’y a pas de marché unique », prévient-il. Il ne voit pas non plus l’urgence d’avoir un tax shelter européen maintenant car une solution nationale est envisageable et la solution européenne ne sera pas rédigée demain.

La présence d’un tax shelter au Luxembourg pourrait inciter les investisseurs privés à investir dans un autre véhicule que la pierre. (Photo : pexels)