Si la perte et le gaspillage alimentaire étaient un pays, il serait le troisième émetteur mondial de gaz à effet de serre après la Chine et les États-Unis.
Le chiffre est impressionnant. D’après le rapport 2021 des Nations unies sur le gaspillage alimentaire, 1,3 milliard de nourriture sont perdues ou gaspillées chaque année dans le monde. Ce qui représente un tiers de la toute la nourriture produite à l’échelle mondiale. Cela représenterait de quoi permettre à plus de 1,2 millard de personnes de s’alimenter. En parallèle, le nombre de personnes souffrant de la faim ne cesse d’augmenter. « On estime aujourd’hui à environ 800 millions », affirme Clément Maclou, Gérant Senior, thématique Future of Food chez ODDO BHF Asset Management. La lutte contre le gaspillage alimentaire est « un élément clé de la lutte contre la faim » qui aurait d’autres avantages selon les Nations Unies. « La réduction des déchets alimentaires génère de multiples bénéfices pour les individus et pour la planète, en améliorant la sécurité alimentaire, en s’attaquant aux changement climatique, en permettant d’économiser de l’argent et en diminuant les pressions exercées sur les terres, l’eau, la biodiversité et les systèmes de gestion des déchets ».
Si on regarde les chiffres de près, la quantité totale de nourriture gaspillée représente 220 kg par personne et par an. Ce qui équivaut d’après le gérant à « plus de 2000 dollars par consommateur américain ». Toutes les catégories d’aliments sont concernés. « 45 % pour les fruits et les légumes à 30 % pour les céréales et 20 % pour la viande et la volaille ». Les variations s’expliquent par la nature des produits (fragilité, durée de conservation), leur prix et leur image culturelle. Clément Maclou prend l’exemple des légumes qui peuvent faire l’objet « d’un rejet dans l’inconscient collectif si leur aspect extérieur est imparfait ». A l’inverse la viande est considérée comme « un signe de réussite sociale ».
Deux « manières de gaspiller »
Où gaspille-t-on le plus ? Sans surprise dans les pays les plus peuplés. A savoir la Chine, l’Inde et les États-Unis. Cependant, si on s’intéresse aux chiffres par habitant, « l’Amérique du Nord, l’Europe et les pays asiatiques sont alors en tête du classement tandis que l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud et du Sud-Est figurent tout en bas », pointe le spécialiste. Il cite une étude du Forum économique mondial selon laquelle, dans les pays développés, la part la plus importante du gaspillage se produit dans la phase de consommation où la nourriture est principalement rejetée en raison de l’esthétique du produit. En revanche, dans les pays en développement, le gaspillage a pour cause principale « l’inefficacité des infrastructures, notamment lors du transport et du stockage des produits ». Dans ce contexte précis, la perte est moins intentionnelle et les solutions sont différentes de celles à mettre en place dans les pays développés.
Le gaspillage de cette quantité « astronomique » de nourriture est aussi un problème écologique majeur. « Il faut trois fois le volume d’eau du lac de Genève pour produire cette nourriture » et 1,4 milliard de terres arables, remarque Clément Maclou. Sans compter l’émission de méthane correspondante qui est estimée à 3,3 tonnes par an. D’après les Nations unies, si la perte et le gaspillage alimentaires constituaient un pays, il serait le troisième émetteur mondial de gaz à effet de serre (GES) après la Chine et le pays de l’oncle Sam, représentant 8 à 10 % des émissions à l’échelle globale.
Avant de proposer des solutions concrètes, les États, les ONG et les entreprises privées doivent disposer de données suffisamment complètes et fiables permettant d’évaluer le gaspillage alimentaire. Deux grandes organisations internationales proposent des méthodologies et des indices pour ce faire. La FAO produit un indice des pertes alimentaires (Food Loss Index- FLI) qui se concentre sur les pertes alimentaires survenant depuis la phase de production jusqu’à celle de distribution. Les Nations unies, elles, gèrent l’indice de gaspillage alimentaire (Food Waste Index – FWI). Il s’agit d’une méthodologie qui permet aux pays de mesurer ce gaspillage aussi bien au niveau des ménages que des services de restauration et du commerce de détail.