Suite de notre entretien avec le député du Parti Pirate Sven Clement sur le projet de règlement européen pour la lutte contre la diffusion de contenus pédopornographiques sur Internet (Child Sexual Abuse Material – CSAM). Il est question de la position du Luxembourg (aujourd’hui contre) qui risque de changer selon lui, de solutions et d’une Union européenne qui va dans la direction d’une « Europe de la surveillance ».
E.L : La liste de censure proposée par la présidence hongroise, n’est-ce pas une fausse solution ?
S.C : Ce n’est même pas une solution. Ces listes, il faut comprendre comment ça fonctionne. Une telle liste est basée sur des soi-disant « hashes », un H-A-S-H, qui est en fait une fonction mathématique qui réduit un megabyte de données à 32 caractères, par exemple, ou à une centaine de caractères. Donc on réduit énormément la complexité de l’image en disant qu’on a une fonction mathématique qui analyse chaque pixel et qui génère en fait ces caractères qui vont uniquement l’identifier. On ne pourra pas reconstruire l’image à partir du hash, mais on pourra très rapidement vérifier si l’image est la même. Le problème, c’est que ces fonctions sont tellement développées de telle manière que si on change un pixel, le hash changera complètement. Donc on ne pourra pas faire d’analyse de proximité d’image.
Il suffit d’ouvrir le fichier, de le sauvegarder avec un pixel d’une autre couleur, et cette liste sera inefficace. En même temps, là à nouveau, on va se retrouver avec des contenus déjà connus. On ne pourra donc pas détecter des contenus inconnus, et par conséquent on ne pourra pas lutter «contre l’origine de nouveaux contenus, ce qui est prétendument l’intérêt du « Chat control ».
E.L : Que faut-il faire pour mieux protéger les enfants ?
S.C : Si on veut lutter contre la création de contenus, il faut mieux protéger les enfants, mieux les éduquer. Il faut surtout déployer tous les outils que la justice a à disposition pour détecter des pédocriminels, de préférence en amont du passage à l’acte.
La police a des moyens aujourd’hui de faire des enquêtes dans le milieu. Il faudra plutôt miser sur un travail d’enquête, sous supervision d’un juge d’instruction, au lieu de mettre chacun sous la suspicion d’être un pédocriminel. En fin de compte, si chaque GSM, chaque tablette, chaque ordinateur fait un contrôle en amont du contenu qu’on veut transmettre, ça veut dire qu’on met chacun et chacune sous suspicion.
E.L : Le Luxembourg fait partie des pays de l’Union européenne qui s’est positionné contre « Chat control ». Peut-il changer d’avis ? A-t-il des arguments à mettre en avant pour convaincre d’autres pays à rejoindre le camp du « non » ?
S.C : Malheureusement, le Luxembourg pourrait changer d’avis. La dernière prise de position date encore du dernier gouvernement. C’est le nouveau gouvernement (NDLR : avait repris la même position). C’était sous la présidence hongroise il y a un an. Maintenant, on se retrouve un an plus tard avec une présidence danoise, avec une géopolitique différente aussi en Europe, si on regarde les partis au pouvoir dans les différents pays.
Malheureusement, oui, le Luxembourg pourrait changer d’avis. J’espère que non. J’ai posé une question parlementaire à laquelle j’attends une réponse d’ici la semaine prochaine. Espérons qu’elle arrivera à temps. Espérons que le Luxembourg restera sur sa position mitigée en disant qu’on veut lutter contre le CSAM, mais nous ne sommes pas prêts à abandonner nos droits fondamentaux. Les garanties des droits fondamentaux actuellement présentes ne sont pas suffisantes. Je pense qu’il est important de lutter contre le CSAM, mais en même temps, on ne peut pas nuancer les droits fondamentaux.
E.L : Maintenant, est-ce que Luxembourg a des arguments pour convaincre d’autres pays ?
S.C : J’essaie de développer et de déployer tous ces arguments. Je pense qu’il y a d’autres personnes qui le font aussi, et j’ai l’espoir que le gouvernement luxembourgeois communique aussi ses préoccupations d’une manière claire et évidente aux autres pays, probablement à travers les ambassadeurs qui se réunissent régulièrement dans les co-reper pour préparer les réunions du Conseil. Maintenant, est-ce que j’ai des preuves que le Luxembourg le fait ? Malheureusement que non. C’est pour ça que j’ai posé la question parlementaire. Il y a toujours un camp qui voit ces propositions danoises de manière problématique, en espérant que ça reste une minorité bloquante et serait vraiment un futur que je ne souhaiterais pas vivre s’il est mis en action.
E.L : Quelles solutions proposez-vous à la place de « Chat Control »?
S.C : Déjà j’ai l’espoir, je pense que j’ai vu Laurent Mosar aussi se prononcer une fois, et je pense qu’il y a aussi eu une intervention de Déi Gréng sur le sujet. J’espère au moins que je ne serai pas un Don Quichotte qui lutte contre. Mais en même temps, quelles sont les alternatives ? Comme je l’ai dit, il faut un travail d’enquête. Il est nécessaire de renforcer, au sein de la police comme du parquet, les sections dédiées à la criminalité des mœurs et à celle visant la jeunesse. Ces unités doivent disposer d’enquêteurs spécialement formés.
Moi je n’aurai pas le courage de le faire. Il faudra aussi rendre attrayant ce poste, mais au moins mieux l’encadrer. Ces enquêteurs et enquêtrices voient quand même des choses que je ne souhaiterais jamais voir.
E.L : Ce n’est pas un métier facile…
S.C : Oui, ce n’est pas un travail facile. Peut-être aussi pourquoi on veut miser sur l’IA, on veut miser sur des algorithmes, pour dire qu’au moins ainsi on protège les policiers. Mais malheureusement, on ne peut pas protéger nos forces d’ordre contre ce que les criminels font. On doit rapidement enquêter et on doit aussi déployer les moyens pour pouvoir enjoindre la création potentielle du contenu. C’est peut-être plus important de vraiment protéger les jeunes avant la production du contenu, qu’après d’essayer de limiter la diffusion. La meilleure limitation de diffusion, c’est de ne pas créer le contenu. En luttant contre la création de contenu, en protégeant mieux les jeunes, on aurait déjà fait 80% du chemin.
Maintenant, pour limiter la diffusion, à nouveau il faut lutter contre les hébergeurs, il faut miser sur la coopération transfrontalière, il faut aussi miser sur les portails de paiement, qui malheureusement laissent toujours passer des contenus. On doit miser sur les plateformes qui permettent la diffusion à grande échelle.
Le « peer to peer », on le sait, on ne sera pas limité. Et de toute façon, en limitant maintenant, avec « Chat Control, » WhatsApp, Messenger, iMessage etc. qu’est-ce qui va se passer ? Les pédocrimiels vont se retrouver dans de nouveaux forums spécialisés, hyper spécialisés, hyper encryptés, qui ne vont pas faire de « Chat control ». Donc on va, en plus, perdre le moyen d’enquête. Pour moi, c’est évident que la meilleure lutte, c’est de ne pas produire de contenu.
E.L : Pensez-vous que ce type de projet peut mettre à mal la confiance des citoyens en une Europe numérique et en des plateformes comme Meta ?
S.C : Pour les citoyens, je ne suis pas certain, mais pour les entrepreneurs, pourquoi encore lancer un produit en Europe si je prends tous les risques liés à « Chat control », que ce soit que je dois construire un produit sur une encryption qui est mal faite et donc du coup ne rend pas l’Europe attrayante pour un entrepreneur dans les cryptos, par exemple, cryptographie je veux dire, mais ça implique aussi les cryptomonnaies.
Si on montre qu’on est incapable de bien légiférer dans le domaine de la cryptographie, on décrédibilise l’Europe comme lieu d’investissement pour tout ce qui est lié à la sécurité informatique. Il est évident qu’en mettant un tel règlement, on montrera clairement que l’Europe n’est pas capable de légiférer sur des sujets informatiques et donc, on la rend moins attrayante pour les entrepreneurs. Deuxièmement, est-ce qu’on risque de mettre en péril la confiance envers les plateformes? Oui, certainement aussi, car est-ce que je vais encore envoyer une telle photo sur une plateforme si je sais que probablement elle va atterrir au sein d’un call center indien?
E.L : Est-ce qu’on peut trouver un équilibre entre une Europe de la surveillance et une Europe protectrice des droits fondamentaux?
S.C : Pour l’instant, l’Europe est clairement dans la direction d’une Europe de la surveillance. Donc pour moi, on devrait miser plutôt sur une Europe qui est la protectrice des droits fondamentaux. Malheureusement, la proposition de la présidence danoise va complètement à l’encontre de cela. Donc, chacun qui nous dit qu’on est pour protéger les droits fondamentaux, je ne veux pas être Trump qui dit que l’Europe ne respecte pas la liberté d’expression par exemple. En votant un tel règlement, on se retrouvera à la fin du monde. On montre que l’Europe n’est pas capable de légiférer.
Voici la réponse de la Ministre de la Justice, Elisabeth Margue, à la question parlementaire
N°2793 du 19 août 2025 concernant la « Position du Luxembourg sur la nouvelle proposition
« ChatControl » de la présidence danoise » du député CSV Laurent Mosar :
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