Suite de notre entretien avec Nicolas Crochet, co-créateur de Funds for Good où il est question de la situation de l’ESG en ce moment, de l’intérêt des jeunes auprès des fonds durables et de la transition agricole, l’une des thématiques phares de ses activités.
Ecorama Luxembourg: Comment définiriez-vous la situation de l’ESG en Belgique actuellement ?
Nicolas Crochet : Sans peut-être m’arrêter à la Belgique, je pense qu’il y a une situation qui est assez partagée tant en Belgique qu’en France et en Europe. L’ESG est à la croisée des chemins. Nous avons assisté à un très gros développement de ce secteur de 2015 à 2021 parce que le message transparaissait beaucoup. Egalement, la plupart des stratégies des fonds d’investissement qualifiés d’ESG ou de durable généraient des performances financières qui étaient particulièrement compétitives avec les investissements dits « classiques ». Nous avions pour une fois un bon argument pour dire « Regardez, le durable ou l’ISR est aussi performant que les autres, alors pour quelles raisons ne pas faire du durable ? » Ça, c’est vraiment ce qui s’est imposé jusqu’à 2021.
Cela a évidemment provoqué un « appel d’air » chez beaucoup de gérants qui se sont réinventés comme des gérants durables sans en fait rien changer dans leur politique d’investissement. Ça a également provoqué probablement des exagérations dans la terminologie. Et alors, on s’est retrouvés en 2021 à l’après-Covid avec un changement radical dans l’industrie provoqué par déjà un changement politique et un changement macroéconomique.
E.L : C’est-à-dire ?
N.C : Par exemple, les taux d’intérêt se sont mis à monter, et ont impacté négativement le rendement boursier des petites et moyennes capitalisations, qu’on retrouvait souvent dans les fonds dits durables. Egalement, beaucoup d’argent est allé vers les grandes sociétés technologiques avec la nouvelle thématique de l’intelligence artificielle, beaucoup moins dans le reste. Les thématiques d’investissement liées au changement climatique ont eu, dans la même veine, moins le vent en poupe.
En conséquence, les mauvaises performances des small caps, les afflux de capitaux vers les grandes sociétés technologiques, la remise en question des politiques climatiques et de droits fondamentaux par certains dirigeants politiques, ce nouveau mouvement d’égoïsme libéré qu’on peut observer, ont eu des effets néfastes évidents sur les flux de capitaux liées aux fonds durables, et à leurs performance.
Il semble que pour certains, l’environnement passe au second plan. Ce sont toutes ces tendances qui viennent challenger fortement le secteur de l’investissement durable.
E.L : Et donc au niveau de la Belgique, qu’est-ce que cela donne ?
N.C : Les retours que nous avons de beaucoup de nos clients consistent à confirmer l’intérêt pour des investissements qualifiés de durables, mais qu’il est important d’être capable de démontrer la tangibilité de cette durabilité d’une part, et de prouver d’un rendement financier compétitif d’autre part.
Je pense qu’aujourd’hui, l’industrie doit se réinventer pour relancer la dynamique et re-créer un climat de confiance afin de relever les défis énormes qui nous attendent.
E.L : Vous avez parlé des investisseurs, est-ce que les fonds ESG ont la cote auprès des jeunes investisseurs (20-45 ans)?
N.C : Nous ne nous adressons pas directement à un public de clients privés. En revanche, je peux me référer à des études qui sont publiées, comme par exemple, celle de JP Morgan sur l’intérêt des jeunes générations pour ce genre de stratégie. C’est assez frappant : ce qu’on constate aujourd’hui, c’est que pour les générations de 55 ans et plus, la présence de l’ISR dans leur portefeuille d’investissement est inférieure à 10%.
En revanche, la moitié de cette population accorde de l’importance ou trouverait normal que leur conseiller en investissement leur propose des solutions d’investissement durable ou socialement responsable. Ce qui veut dire que dans la population qui détient la majeure partie des avoirs aujourd’hui, très peu sont investis en durable. Cependant, ce qu’on sait, c’est que dans les 15 ans qui viennent, 70% de la fortune détenue par cette génération va être transmise aux générations suivantes (les moins de 55 ans, les moins de 35 ans) .
Et parmi ces générations, les investissements actuels dans des stratégies qui sont au moins ISR représentent 70 à 80% de leurs portefeuilles. Ces populations, selon l’étude de JP Morgan, estiment à plus de 90% que leur conseiller en investissement doit être capable de leur présenter des solutions durables. En fait, cette étude démontre que dans les 15 ans qui viennent, les conseillers en investissement qui s’en sortiront le mieux seront ceux qui seront capables de présenter des solutions de durabilité. C’est une très bonne nouvelle.
E.L : Pour venir à l’actualité, on voit que Donald Trump n’est pas vraiment favorable à tout ce qui est lié à l’environnement. Est-ce que son positionnement n’amènerait pas le marché ESG à se remettre en question ?
N.C Il oblige le marché ESG à se remettre en question. Tant je désapprouve ces positions, tant je me réjouis du fait que le secteur doit être challengé pour devenir plus robuste et pour pouvoir mieux se déployer à l’avenir. Je pense en effet que peut-être que certains ont exagéré sur les termes utilisés, d’autres ont peut-être mal présenté leurs arguments, qui restent tout aussi valides. Je pense qu’ il serait dommage que l’histoire s’arrête suite à une situation à court terme négative pour certains de ces fonds, je parle ici des performances de 2022, 2023, 2024. Ce n’est pas sur ce petit intervalle qu’il faille préjuger des résultats futurs.
Egalement, tout l’argumentaire sur la durabilité, basé entre autres sur l’influence de l’homme sur le changement climatique, sur les données scientifiques, n’a jamais été aussi pertinent. La situation actuelle est donc une opportunité pour les acteurs crédibles du secteur d’adapter leur discours à cette nouvelle méthode de pensée influencée entre autres par les Trump et autres. Il faut être capable de démontrer en quoi les solutions proposées ont un impact positif et tangible sur l’environnement au sens large.
E.L : Quel regard portez-vous sur la transition agricole ?
N.C La transition agricole une des thématiques qui est portée par notre ASBL. Depuis quelques années, nous avons financé plusieurs maraîchers et avons découvert un secteur fortement créateur d’emplois.
Le maraîchage propose également de multiples bénéfices additionnels pour la société : pas d’utilisation d’intrants, production d’une alimentation de qualité, augmentation de la qualité des sols, livraison en circuits courts, déploiement de l’économie locale…
En observant les activités de ces entrepreneurs que nous avons accompagné, nous avons voulu nous développer dans la thématique. Nous nous occupons à octroyer des moyens financiers pour pouvoir créer des réseaux de maraîchers dans les ceintures périurbaines. L’idée, en fait, c’est de pouvoir installer et de créer des emplois à travers des projets de maraîchage autour des villes, ce qui permet d’engranger tous les bénéfices que je vous ai présentés, que ce soit une alimentation de meilleure qualité à l’intérieur des villes à un prix abordable, avec des systèmes de livraison en circuit court, avec des moyens de locomotion léger.
Nous nouons toute une série de partenariats avec les autres acteurs du secteur. Je veux dire par là que le maraîchage est une chose, mais les cultures à plus grande échelle, comme celle des céréales par exemple, sont tout aussi importantes. Les difficultés de ce secteur sont nombreuses, et nous collaborons avec des organismes qui travaillent et accompagnent de nombreux agriculteurs désireux de faire évoluer leur pratique vers une pratique plus raisonnée, et bénéfique à de nombreux égards.
L’idée là-dedans est de pouvoir régénérer des revenus décents pour les agriculteurs ou les maraîchers parce qu’on constate aujourd’hui qu’à l’intérieur de ce circuit de production alimentaire, ce sont les producteurs qui gagnent le moins, et qui sont les moins reconnus. Notre idée est de pouvoir réfléchir à comment faire pour rajouter, rapporter de la valeur chez eux.
E.L : Quels sont vos projets pour les années à venir ?
N.C : Ils sont évidemment nombreux. Jusqu’à présent, nous avons fortement déployé nos efforts commerciaux au niveau des produits, dans des produits d’investissement cotés, entre autres principalement avec BLI en tant que gestionnaire.
Nous avons développé depuis maintenant deux ans un fonds non coté qui s’appelle « ImpaktEU », qui est co-géré avec la société Impulse, qui est une société belge spécialisée dans l’investissement dans les institutions de microfinance. Ce fonds est un fonds de dette privée, qui finance les institutions de microcrédit en Europe de l’Est et centrale ainsi que des projets d’entrepreneuriat social ou environnemental en Europe occidentale.
Dans nos projets futurs, l’idée est de pouvoir déployer une gamme de produits non cotés, comme par exemple un fonds de private equity, qui soit évidemment lié à des thématiques de durabilité extrêmement nécessaires pour la construction d’une société résiliente et agréable à vivre dans le futur. Notre ambition est également de pouvoir continuer à développer des partenariats avec des acteurs du secteur financier qui voudraient collaborer avec nous, afin de développer des offres à impact sociétal concret.
E.L : Est-ce uniquement pour la Belgique et le Luxembourg ?
N.C : Aujourd’hui, Nous sommes principalement actifs en Belgique, Luxembourg et France, mais nous ne voulons pas nous arrêter là. Nous avons eu des appels du pied de certains acteurs à l’échelle internationale qui voudraient appliquer ce que nous faisons dans leur pays, dans d’autres pays européens ou dans des contrées encore plus lointaines, et ce sont des possibilités qu’on étudie. Le souhait est de pouvoir continuer à implémenter cela, tout en maintenant cette fibre locale qui est capitale.
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