L’intelligence artificielle bouleverse déjà nos sociétés. Elle pourrait transformer l’économie mondiale aussi profondément que la machine à vapeur en son temps. Dans cette nouvelle course à l’innovation, les entreprises se livrent une guerre sans merci. Mais entre promesses technologiques et tensions géopolitiques, les marchés avancent en terrain miné.
« Il ne faut pas sous estimer ce qui nous attend », s’est exclamé Brice Prunas, gestionnaire thématique de l’intelligence artificielle chez ODDO BHF AM lors de « l’AI Web Conference » qui s’est tenue ce lundi. Depuis le lancement de ChatGPT à la fin de l’année 2022, les progrès se sont enchaînés à un rythme effréné. Les modèles tels que GPT-4o, Grok 3 et le chinois Deepseek, sont bien plus puissants et « évoluent de manière exponentiellement », avait écrit l’expert dans une publication datée d’avril 2025.
On assiste désormais à une véritable compétition. Les entreprises et les nations se sont engagées dans une course à la domination de l’IA, chacune repoussant les limites. Pour l’instant, les Etats-Unis dominent le marché. Cependant, la Chine et l’Europe ne restent pas inactives.
Lorsque Deepseek R1 a été lancé au début de l’année 2025, la réaction du marché a été « immédiate », selon Brice Prunas. Le pays de Donald Trump a connu un « moment spoutnik ». Traduisez : une prise de conscience brutale que l’empire du Milieu était bien plus avancé dans le développement de l’IA que beaucoup ne le pensaient. La réponse de l’oncle Sam a été rapide. Elle s’est traduite par le lancement du programme « Stargate », une initiative de 500 milliards de dollars visant à permettre aux Etats-Unis de garder leur avance.
Le raisonnement de l’intelligence artificielle est, d’après Brice Prunas, « un véritable tournant ». « Nous entrons ainsi dans une nouvelle ère où l’IA n’est plus seulement un outil mais un système intelligent capable d’une compréhension approfondie ». Si l’IA va permettre « de comprendre le monde qui nous entoure de manière cellulaire », elle remplace le travail par le capital où « la productivité dont on en tire est appelée à transformer les industries à une échelle sans précédent ».
Les « sept magnifiques » investissent en masse
La montée en puissance de Deepseek a relancé la débat sur la suprématie d’Nvidia. « Certains estiment que des modèles d’IA plus efficaces pourraient réduire le besoin de puces haute performance coûteuses », rapporte le gestionnaire. D’autres s’inquiètent d’une surinvestissement avec des géants comme Microsoft et les fournisseurs comme TSMC achetant « potentiellement plus que nécessaire ». Brice Prunas développe un autre point de vue : « Nvidia est bien plus qu’un simple fabricant de puces ». La société possède l’ensemble de l’écosystème de l’IA. Ses clients ? Google, AWS et Microsoft ainsi que « des gouvernements qui mettent en place des systèmes d’IA souverains et des start-ups qui travaillent sur des modèles de raisonnement révolutionnaires ».
Il y a quelques mois, les investisseurs remettaient en question le modèle d’affaire de la société américaine et anticipaient une baisse des ventes des semi-conducteurs. Depuis, « l’émergence de nouvelles applications d’IA a balayé leurs inquiétudes », souligne Jan Viebig, CIO chez ODDO BHF SE. Il faut dire que début juin, le producteur américain de semi-conducteur a annoncé un chiffre d’affaire en hausse de 69 % au premier trimestre 2025 à 44,1 milliards de dollars et un bénéfice en hausse de 25 % à 18,8 milliards de dollars, « malgré les revirements de la politique commerciale américaine ».
A l’heure actuelle, les investisseurs se focalisent principalement sur l’infrastructure informatique, les semi-conducteurs et les équipements. « A notre avis, cette tendance devrait se maintenir, grâce au développement de semi-conducteurs toujours plus puissants et rapides, de l’informatique quantique, des réseaux informatiques et de la robotique, notamment dans les marchés financiers », soutient le CIO. Les géants de la tech, à savoir les « sept magnifiques » (Alphabet, Apple, Amazon, Google, Meta, Microsoft et Tesla ) investissent massivement pour se placer « en pole position » dans l’ère de l’IA.
Des secteurs cruciaux
Son équipe observe déjà une « réorientation du secteur. « Le public plébiscite les chatbots, mais les agents d’IA prendront bientôt plus d’importance, ouvrant la voie à l’intelligence artificielle générale (IAG). Alors que les chatbots suivent des schémas prédéfinis, les agents d’IA intègrent des capacités de planification et de prise de décisions autonomes ».
Voitures autonomes, maisons intelligentes et drones de livraisons. Ces innovations sont souvent citées comme de potentielles applications de l’intelligence artificielle. Il faut garder en tête que l’IA est déjà « mise à contribution dans les domaines militaire, industriel et médical, par exemple pour le développement de robots chirurgicaux ou de systèmes de monitoring des patients (tension artérielle, taux d’oxygène, rythme cardiaque) afin d’alerter à temps le personnel médical en cas d’anomalie ».
Dans une étude1 publiée en janvier 2025, le cabinet de conseil McKinsey estime que « le potentiel de marché à long terme de l’IA à 4 400 milliards de dollars sur la base de la croissance de la productivité de divers modèles économiques ». En 2024, le secteur technologique a généré 268 milliards de dollars de valeur au niveau mondial, celui des semi-conducteurs 123 milliards, la pharmaceutique et la biotechnologie 155 milliards, et les biens de consommation 120 milliards, toujours selon McKinsey. « Ces secteurs sont désormais cruciaux pour les investisseurs », résume Jan Viebig.
L’instabilité rend les marchés nerveux
Les incertitudes géopolitiques jettent « un froid » sur les perspectives pour le secteur. La politique commerciale de l’administration Trump touche même les entreprises américaines. « Par exemple, Nvidia a enregistré un manque à gagner de 4,5 milliards de dollars sur les trois premiers mois de 2025 en raison les restrictions à l’exportation de son processeur H20 », pointe le CIO.
Il estime que d’autres entreprises pourraient également pâtir d’une « éventuelle intensification » du conflit commercial entre les États-Unis et la Chine. A titre d’exemple, Meta pourrait voir ses revenus décliner si des entreprises chinoises, telles que Shein ou Temu, décidaient de réduire leurs dépenses publicitaires sur ses deux principales plateformes, Facebook et Instagram.
Jan Viebig pense que les investisseurs doivent surveiller de près les conséquences de la politique commerciale. L’instabilité actuelle rend les marchés nerveux, mais la baisse des valorisations offre des points d’entrée intéressants pour les investisseurs qui font preuve à long terme d’une tolérance au risque appropriée. « Nous considérons l’IA comme l’un des thèmes d’investissement les plus prometteurs au niveau mondial ». Il conclut en affirmant : « il est crucial de se rappeler que l’IA impacte désormais de nombreux secteurs à part la technologie et des semi-conducteurs. Un portefeuille d’actions stratégique et diversifié est donc essentiel pour bénéficier de ces tendances et diminuer les risques liés à un placement en titres individuels ».
1McKinsey & Company: « Superagency in the Workplace. Empowering people to unlock AI’s full potential. » Janvier 2025.
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