Suite de l’entretien avec Téo Verchère, co-fondateur du média L’Evènement qui s’exprime, entre autres, sur l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, sur la presse luxembourgeoise et la nécessité de créer un clivage politique au Luxembourg.
E.L : Justement, c’est intéressant ce que vous dites, qu’est-ce que ces personnes disent de la société luxembourgeoise ?
T.V : Ce partis qui sont décrits comme des partis extrêmes émergent du fait que souvent les politiques, les partis traditionnels ferment les yeux sur certaines problématiques. Ce qui est très très clair et on le voit en Europe, il y a une question qui se pose notamment liée à l’immigration.
Nous constatons sur le terrain que ces questions ont du mal à être traitées. Il y a aussi la question sociale. Au Luxembourg il n’y a pas que des personnes riches. Il y a aussi une classe moyenne plus populaire qui peut sentir un décrochement économique notamment avec le logement. Si les politiques ne traitent pas ces questions, effectivement, des partis jugés extrémistes, populistes, peuvent prendre le pas.
Et c’est en faisant parler tous les politiques qu’on oblige les politiques à voir la réalité en face. Donner la parole à tous garantit une représentation fidèle de la réalité.
E.L Ça veut dire qu’en fait les hommes politiques, si on entend bien ce que vous dites, ne
voient pas la réalité ?
T.V : Pas totalement. Ils ont un ancrage dans le réel, mais certains ont du mal avec certaines réalités, effectivement. Je pense que la question de l’immigration et du multiculturalisme partout en Europe est une question majeure à laquelle diverses réponses sont apportées. Mais la plus mauvaise, c’est de fuir la question, de penser que c’est une question qui est illégitime, alors que les peuples se la posent partout en Europe. Je pense que les politiques luxembourgeois ne se posent pas assez ces questions et qu’elles vont émerger dans un futur proche.
En France, pendant 40 ans, on a mis sous le tapis ces questions-là. On considérait que c’étaient des réflexions extrêmes, alors que c’étaient les réflexions du peuple. Et quand on ne traite pas efficacement, cela crée des ressentiments. Ils se matérialisent par des votes, et les votes des partis dits extrêmes. Au Luxembourg, je pense que ce sont des questions qui vont se poser de manière croissante parce que l’économie européenne, notamment du fait de la démographie, décline.
Quand l’oisiveté économique est moins importante, d’autres questions ont tendance à davantage émerger.
E.L : On va passer de l’autre côté de l’Atlantique. Comment en tant que média, voyez-vous l’arrivée au pouvoir de Donald Trump ?
Je pense que Donald Trump est l’exemple typique de ce que mène “le politiquement correct” . Nous parlions de la question sociale, le bassin industriel des États-Unis, où des ouvriers se sont sentis dépossédés de par la mondialisation. La question sociale, puis effectivement la question de l’immigration qui, certaines fois, était traitée avec mépris. La montée de Donald Trump est l’illustration la plus importante outre-Atlantique, dans la première démocratie du monde, où quand on ne traite pas des questions qui sont majeures et que les citoyens se posent, il y a des personnes qui récupèrent ces questions. C’est ce qui arrive en Europe et qui pourrait arriver en
France, en Allemagne ou au Luxembourg.
Puis après, en tant que média, nous sommes viscéralement attachés à la démocratie, parce qu’on pense que c’est le moins mauvais des systèmes, comme le disait Churchill.
Bien que Donald Trump puisse avoir divers positionnements sur diverses questions, il y a un événement fondamental pour nous, qui est la prise du Capitole (NDLR : 6 janvier 2021). On s’attaque directement à la démocratie libérale. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne traitera pas le cas de Donald Trump avec objectivité, mais la démocratie, c’est le bien commun des citoyens. Quand on s’attaque à cette chose-ci, je pense que c’est aussi le rôle d’un média, de traiter ces questions-là avec un certain parti pris. Parce que sans démocratie, il n’y a pas de liberté de l’information.
E.L : Qui dit média, dit public. Vous avez créé l’Evènement, est-ce que cela veut dire que
les jeunes ont besoin d’un média qui leur correspond ?
C’est la vraie question. Est-ce que le but est de parler seulement aux jeunes ? Non. D’ailleurs, ce que nous avons vu, c’est qu’au début, la cible majoritaire était les adultes (18-35 ans). Avec le temps, certains contenus ont été de plus en plus visualisés par des personnes qui étaient plus âgées. Pourquoi peut-on dire qu’on est un média jeune ? C’est parce que nous pensons qu’il y a toujours un enjeu de représentation. C’est-à-dire qu’une personne qui a 18, 20 ans, 22 ans, ne va pas être écoutée de la même manière par un jeune qu’une personne qui a 40, 45 ans.
La question, ce n’est pas de traiter les choses spécifiquement pour les jeunes, mais il y a aussi la question de la représentation des jeunes dans les médias. Si dans les médias, cette représentation des jeunes est moins importante, les jeunes vont de toute façon moins écouter ces médias. Les jeunes ne s’informent plus sur les médias papiers, c’est révolu. C’est à 100% sur les réseaux sociaux. Nous sommes jeunes, nous expliquons à des jeunes mais pas qu’à des jeunes. Nous expliquons l’actualité, ce qui peut créer un phénomène d’identification. Nous sommes sur les réseaux sociaux et que notre plateforme de diffusion sont intégralement les réseaux sociaux.
E.L Vous avez un site web, pourtant ?
T.V : Nous avons un site web. La majorité de notre activité ce sont les vues qu’on a sur les réseaux sociaux. Il y a le parti pris des réseaux sociaux, alors que d’autres médias préfèrent la presse écrite, que ce soit en format papier ou en format digital.
E.L : Ça veut dire que le Luxembourg est un pays de vieille presse ou c’est un pays qui n’a pas encore fait cette transition vers le digital, même s’il y a des journaux qui ont des sites internet et des réseaux sociaux?
T.V : C’est effectivement aussi le pari presque entrepreneurial de l’Evènement. Si on est très concret, pour qu’un média fonctionne, il faut qu’il ait une place. Et effectivement, cette place du média indépendant existe moins. Ce genre de format n’existe pas encore au Luxembourg alors que ça existe partout ailleurs. Il y a des médias qui sont à 100 % sur les réseaux sociaux et qui fonctionnent très bien en France, en Angleterre, en Belgique. Au Luxembourg, ce n’est pas encore le cas et c’est donc aussi notre pari. Est-ce que les médias sont vieux jeux ? Je ne sais pas. En tout cas, ce que je constate, c’est que les médias ne parlent pas à tout le monde et ne réussissent pas à parler à tout le monde. Ils ne réussissent pas à parler concrètement aux jeunes.
Les jeunes ne lisent pas, sauf les plus informés, la grande majorité ne regardent pas
quotidiennement les médias traditionnels comme RTL, Luxembourg Wort etc.
E.L :Pourtant, L’essentiel qui est bien installé dans le paysage médiatique est plutôt orienté vers les jeunes.
C’est aussi un des partis pris qu’on a fait quand on a commencé les entretiens avec des politiques, c’est que nous, on voulait aller juste au bout des choses et réellement montrer les problématiques. Ce n’est pas facile parce que nous faisons aussi le pari où potentiellement on perd des personnes sur la route, mais c’est aussi une des questions qui montre, qui est aussi symptomatique des médias au Luxembourg en général, que L’essentiel en est aussi l’image,c’est que ça ne va pas assez au bout des questions
politiques.
E.L : C’est aussi le format de L’essentiel qui fait ça, être concis et aller droit au but
T.V : Ce n’est pas celui qu’on privilégie. Nous préférons qu’un moindre public comprenne, voit l’analyse qu’on veut mettre en avant de la société luxembourgeoise plutôt que de ne pas dire grand-chose, juste annoncer ou divulguer de l’information sans qu’il y ait réellement cet impact. Comme on l’a dit, la question démocratique qui se pose pour toute la population luxembourgeoise, c’est qu’à mon avis, la population luxembourgeoise n’est pas assez politisée et donc il faut créer un minimum de clivage. Il faut montrer les enjeux. L’essentiel notamment, à mon avis, ne montre pas assez ces enjeux-là. Quelle est la différence ?
Par exemple, un des exemples les plus intéressants, c’est que quand on demandait aux partis, c’est une question qui est faite traditionnellement dans tous les autres pays, on demande « qu’est-ce qui vous différencie, vous, des autres partis ? » La grande majorité des politiciens ne savait pas nous répondre. Alors que ce n’est pas la même chose de voter pour le parti socialiste luxembourgeois que de voter pour le CSV ou que de voter pour le DP. Et là, les lignes n’étaient pas claires et n’étaient même pas claires pour les citoyens. Donc nous, on pense que le clivage politique est nécessaire.
E.L : Pourquoi est-il est nécessaire ?
T.V : Parce que ça crée effectivement un minimum de conflits, mais c’est ce conflit-là qui crée l’intérêt des citoyens. Et quand ils s’intéressent à la chose publique, les politiciens ne peuvent pas faire n’importe quoi.
Suite de l’interview demain, vendredi 7 février 2025
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