Cette élévation progressive du Bitcoin au rang de devise quasi légitime va chambouler l’ordre monétaire mondiale, prévient Alexis Bienvenu, Fund Manager chez La Financière de l’Echiquier.
L’élection de Donald Trump à la Maison Blanche le 6 novembre dernier a eu un « effet boeuf » sur le Bitcoin. Sa valeur a pris près de 50 % en un mois. Ce n’est pas un hasard puisque le futur maître de la Maison Blanche en est l’un de ses plus éminents défenseurs. La première conséquence de tout cela étant l’enrichissement de « la communauté de ses adeptes, en premier lieu Elon Musk – à qui il devait bien ce service pour son soutien inaltérable », affirme Alexis Bienvenu, Fund Manager chez La Financière de l’Echiquier.
En fait, le président élu fait bien plus qu’enrichir les adeptes de la monnaie virtuelle. « Il lui confère une légitimité d’image, renforcée par une administration tout entière dévolue à cette mission », continue-t-il. En plus de la présence centrale d’Elon Musk dans la future administration, la nomination annoncée de Paul Atkins au poste de responsable de la Securities and Exchange Commission (SEC) vient-elle consolider le statut de la crypto-monnaie. D’après le gestionnaire, « Monsieur Atkins compte en effet parmi les plus prestigieux défenseurs de cette devise, en tant qu’ancien responsable de la même commission sous George W. Bush, entre 2002 et 2008 ».
Jusqu’ici frileuse dans son appréciation du Bitcoin, elle avait longtemps repoussé l’autorisation de créer des ETF adossés à des Bitcoins, octroyée seulement en janvier 2024. La nomination annoncée de David O. Sacks, un ancien de Paypal (comme Elon Musk) et figure éminente de la Silicon Valley, au titre « ubuesque de tsar de l’Intelligence Artificielle et de la crypto à la Maison Blanche renforce encore l’équipe pro-crypto destinée à prendre place à Washington ».
Un concurrent de l’or
C’est certain, cette élévation progressive du Bitcoin au rang de devise quasi légitime va « bouleverser l’ordre monétaire mondial ». Les plus fins observateurs se rendent compte que l’attitude des grandes banques centrales commence de fait à devenir moins frileuse. Jerome Powell, président de la Réserve Fédérale Américaine, ne vient-il pas de déclarer lors d’un sommet organisé par le New York Times : « C’est exactement comme l’or, sauf que c’est virtuel, c’est digital » ?
Pour Alexis Bienvenu, cette équivalence soulignée avec l’or, reconnue par le principal argentier de la planète, constitue « une étape marquante ». D’autant que le gardien du dollar démine toute compétition entre les deux devises : « ce n’est pas un concurrent du dollar, c’est en fait un concurrent de l’or » a-t-il ajouté.
Dans sa trajectoire d’assimilation par les grandes institutions, le Bitcoin connaît une mutation bien paradoxale. Pensé à l’origine comme une devise échappant aux institutions nationales et aux banques centrales, vouées aux gémonies par son lointain inspirateur libertarien Friedrich Hayek, il devient peu à peu un actif intrinsèquement lié au grands établissement américains, eux-mêmes strictement réglementés. Les grandes places boursières américaines, comme le Chicago Mercantile Exchange et le Chicago Board Options Exchange, prirent ainsi marque dès 2017 pour créer des produits dérivés sur le Bitcoin, désormais largement utilisés. Les plus grands gestionnaires d’actifs du monde, américains naturellement, tels Blackrock ou Fidelity, ont créé des fonds directement adossés au Bitcoin dès que l’autorisation fut donnée par la SEC. Les deux fonds de ce type administrés par ces gérants se montent au total à plus de 70 milliards de dollars d’encours, après moins d’un an d’existence.
Et l’Europe dans tout ça ?
Intimement intégré au système financier américain, « le Bitcoin – et par extension les cryptos de façon générale – ne devient-il pas une extension du dollar, au lieu d’être son remplaçant ? », se demande le spécialiste. Une chose est sûre : en l’institutionnalisant, les Etats-Unis se donnent les moyens de peser sur sa trajectoire, pour l’utiliser le cas échéant dans leur propre intérêt.
Faut-il s’attendre à un mouvement similaire en Europe au risque de subir une nouvelle fois les volontés américaines ? Les premiers contrats à terme européens ont ainsi attendu 2021 pour être traités. Les fonds européens grand public strictement adossés au bitcoin n’existent pas – les rares qui existent étant considérés comme de la gestion alternative. Les institutions européennes voient dans les cryptos plutôt un danger qu’une opportunité, comme en témoigne un article récent publié par deux membres de l’administration de la Banque Centrale Européenne qui assimile le Bitcoin à une bulle spéculative dont il faut protéger la population.
Comme le nouveau mandat de Trump, la légitimation du bitcoin est-elle la promesse d’une nouvelle catastrophe mondiale, ou d’un monde financier plus libre ? En tout cas, « elle augure celle d’un monde plus trumpien, plus américain, où les devises non-étatiques reflètent au fond la concurrence que les Etat ont toujours entretenue entre eux », conclut le gestionnaire de fonds.
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